Un soldat venu du Pacifique

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« Exemple de bravoure et de froide détermination »(1), le Rueillois Jean Tranape, compagnon de la Libération, a pris part, aux heures les plus sombres de notre histoire, à l’épopée du bataillon du Pacifique. Rencontre.

Rueil Infos : Dans quel contexte avez-vous grandi ?

Jean Tranape : D’origine vietnamienne, je suis né à Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 3 décembre 1918. Je n’ai pas connu ma mère, décédée quelques mois après ma naissance. J’ai appris à aimer la France sur les bancs de l’école, où je me passionnais pour les campagnes napoléoniennes. J’ai exercé par la suite le métier de dessinateur industriel au service des travaux publics de Nouvelle- Calédonie. Mon père ayant été naturalisé français, j’ai été appelé sous les drapeaux en janvier 1940, dans le bataillon mixte d’infanterie coloniale.

 

R.I. : Comment avez-vous ressenti la capitulation de la France, en juin 1940 ?

J.T. : Très mal ! Nous n’avons pas entendu l’appel du général de Gaulle, mais il a été relayé par la presse, et la Nouvelle-Calédonie s’y est ralliée. Je me suis engagé dans le bataillon du Pacifique, composé de 300 Néo-Calédoniens et de 300 Tahitiens, sous le commandement de Félix Broche. Le 5 mai 1941, nous avons embarqué pour Sydney. Quelques semaines plus tard, trois paquebots de transport de troupes convoyaient 20 000 Australiens et 600 Français vers le Moyen-Orient. Nous sommes arrivés à Suez le 31 juillet 1941.

 

R.I. : À quelles campagnes avez-vous participé ?

J.T. : Nous avons d’abord été dirigés vers Qastina, Damas, Alep et Lattaquié. Habillés par les Britanniques — l’armement étant français — nous sommes devenus un bataillon motorisé, incorporé dans la première brigade française libre. Fin décembre 1941, nous affrontions pour la première fois l’Afrika Korps lors de la prise d’Halfaya, à la frontière égypto-libyenne. Ensuite, nous avons œuvré à la défense de la position stratégique de Bir Hakeim, où nous avons subi une attaque conjointe de l’artillerie, de l’infanterie et de l’aviation allemande. À un contre dix, c’était un véritable enfer ! Après avoir résisté du 27 mai au 10 juin 1942, nous avons reçu l’ordre d’évacuer pour tenter de rejoindre les lignes britanniques. Il était temps ! Nous étions à court de vivres et de munitions, malgré une opération réussie de ravitaillement, au cours de laquelle j’avais été, un temps, porté disparu. Malheureusement, nous avons dû déplorer de lourdes pertes, dont celle du lieutenant-colonel Broche. Notre bataillon a alors fusionné avec le bataillon d’infanterie de marine pour former le bataillon d’infanterie de marine et du Pacifique (B.I.M.P.). Après El-Alamein, en juillet 1942, nous avons participé aux campagnes de Tunisie, où les troupes de Rommel ont été défaites. Plus tard, nous avons débarqué en Italie et livré une dure bataille au Monte Girofano, en mai 1944. Blessé par des éclats de grenade, j’ai été évacué à l’arrière...

 

R.I. : Comment avez-vous vécu le débarquement en Provence ?

J.T. : Nous avions tant attendu ce jour ! C’était, pour nombre d’entre nous, la première fois que nous foulions le sol de la métropole. Nous avons débarqué dans la nuit du 15 au 16 août 1944, à Cavalaire. Les combats ont été très meurtriers. Quant à moi, j’ai été blessé à nouveau et évacué en Afrique du Nord, pendant que mon bataillon progressait jusqu’aux Vosges. Je n’ai pu le rejoindre que le 26 décembre 1944, à la caserne de La tour Maubourg, où il avait été mis au repos. C’est à cette époque que j’ai rencontré ma future épouse, Odette. Le 14 avril 1946, les rescapés du bataillon du Pacifique s’en sont retournés vers leurs îles natales et leur vie civile, après cinq ans d’absence.

(1) Appréciation du chef de bataillon Lemoine au titre des motifs d’attribution de la Croix de la Libération (Alger, 17 août 1944).