Mertine : « comment nous sommes devenus champions olympiques »

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Champion olympique par équipes avec la France au fleuret à Tokyo, après une victoire éclatante face au Comité olympique russe (45-28), Julien Mertine nous livre le récit d'une journée vers le sommet.

« C'est magique, je suis champion olympique par équipes avec la France. Ça fait rêver. Avec les gars, on est encore sur un nuage. On a vécu une journée avec des émotions de dingues et c'est l'heure de La Marseillaise. Je pense à tout le travail d'une vie qui paie et je ne peux m'empêcher de pleurer. Et je peux vous dire qu'il n'est pas évident de chanter en pleurant (rires). Tout ce boulot qui paie enfin. C'est fou...

La nuit dernière, j'ai eu du mal à trouver le sommeil. Je n'ai pas beaucoup dormi honnêtement. Quand le réveil sonne à 7 heures, c'est le moment. On prend un petit dej'sur le pouce et on part vers 8 heures. Le chemin en car est assez long. On met environ trois quarts d'heure pour arriver sur place. À 8 heures 45, on se change et on commence notre échauffement avec les gars. Cela dure une heure et demie.

On est focus sur la compétition et tout s'enchaîne. On débute contre l'Égypte et notre tactique consiste à ce qu'Erwann Le Péchoux entre dans la seule compétition qu'il dispute aux JO. Il faut être très très fort psychologiquement et physiquement. Maxime Pauty cède sa place. Avec la pression c'est compliqué, on est crispés même si on est meilleurs. Il y a 25 partout.

Finalement, on finit par se détacher et gagner. Et là, on s'attend à affronter l'Italie, très forte mais c'est la surprise : le Japon, qui a bénéficié d'une wild card, se retrouve face à nous. On s'en méfie évidemment. Je ne fais pas un relais terrible au début (1-7), après je me reprends super bien. On prend le large au niveau du score. Erwann se fait un peu bousculer pour les dernières touches.

En face, le Japonais est mort de faim, il revient. Je ressens de la tension. Mais Erwann se bat. On est au-dessus et une équipe soudée. On reste unis derrière. Si vous saviez... On est une vraie bande de potes ! Avec le Covid, on a tous cravaché et c'est dans ces moments que ça paie. On ne baisse pas les bras. On reste des guerriers et on va chercher nos dernières touches. On se qualifie en finale, mais on doit attendre 5 heures : autant vous dire une éternité.

À une époque avant la pandémie, on pouvait rentrer à l'hôtel se changer les idées mais ici, on reste ensemble dans une salle et on parle de tout sauf d'escrime et de finale (rires) ! On se retrouve entre potes comme dans un café, avec nos coéquipiers, entraîneurs, préparateurs physiques...

C'est très sain et c'est ce qui nous donne envie de nous battre les uns pour les autres. On s'oxygène. On se fait masser par les kinés, on discute de tout et de rien, on regarde la télévision. Aujourd'hui, il y a du beach-volley féminin, et c'est agréable à regarder. On coupe un peu et on regarde aussi le match pour la 3e place au fleuret quand même. Le temps passe.

On se souvient de notre parcours jusqu'ici et on regarde en face : les Russes ont décidé de se préparer aux Jeux de manière spécifique, ils n'ont fait que des matches entre Russes sans affronter aucun étranger. Ils se retrouvent avec des jeunes talents qu'on ne connaît pas du tout. On se retrouve face à l'inconnu, même si on sait qu'ils sont performants. Mais qu'importe qui nous affronte, on se concentre sur nous, sur le travail qu'on a à faire.

Nous, de notre côté, on a longtemps attendu la décision pour les JO. Vous savez que cela représente des années de travail. Et jusqu'à la fin, vers mai, c'était le flou en 2020. Puis on se souvient de la reprise de la compétition à Doha en 2021 avec une préparation très spéciale et de nouvelles conditions.

« Quand Erwann rentre on sait que ça sent bon, qu'on va être champions olympiques »

C'était dur pour tous les favoris. On se retrouvait isolés, en quarantaine. On devait porter le masque pendant l'échauffement : environ 45 minutes. Je me suis vite fait éliminer mais l'expérience a beaucoup compté. Parce qu'ici à Tokyo, on est pratiquement dans les mêmes conditions.

Avant la finale, on s'échauffe en faisant un tennis-ballon. On s'éclate (rires). On trouve de quoi se faire un terrain avec des barrières et c'est parti. On essaie souvent de se créer des moments fun pour se détendre et aussi se réactiver.

On débute fort comme des guerriers. Là, il s'agit d'un combat. On prend des coups d'un côté comme de l'autre - je ne sais pas si ça se voit à la télé - mais c'est fou. Je domine Borodachev, on mène 10-5, et Enzo (Lefort) prend bien le relais. Tout roule. On est plus forts. J'inflige un 7-2 à Safin on mène 35-24. Il y a 11 points d'écart mais il reste deux relais et il peut se passer plein de choses encore. Enzo poursuit.

« La médaille d'or est très lourde autour de mon cou là (rires), mais quel truc de dingue. On va nous en parler et nous en parlerons toute notre vie »

Et quand Erwann rentre on sait que ça sent bon, qu'on va être champions olympiques. Au moment de la dernière touche d'ailleurs, j'ai un peu moins d'euphorie. Je crois que je ne réalise pas, je ne comprends pas ce qui m'arrive. C'est magique. On repense à nos proches, à toute une vie, pas seulement à quatre ans de travail.

On remercie tous ceux qui ont cru en nous dans les bons, comme dans les mauvais moments. On a la chance d'avoir le meilleur groupe du monde à l'entraînement aussi. Les 12 meilleurs Français. C'est aussi grâce à eux si on garde le niveau.

La médaille d'or est très lourde autour de mon cou là (rires), mais quel truc de dingue. On va nous en parler et nous en parlerons toute notre vie. Voilà, à quoi ressemble finalement une journée vers le titre olympique. »

 

Bryan SECRET.