Le conquérant et le pharaon

Publié le - Mis à jour le

Le peintre Maurice Orange a signé en 1895 un tableau de près de 4 mètres sur 5 illustrant la conquête de l’Égypte par Napoléon Bonaparte, en 1798. Une œuvre minutieuse et saisissante, présentée au musée d’Histoire locale, qui oppose un pharaon qui n’est plus à un empereur  en devenir.

Quand il rentre victorieux de sa campagne d’Italie, le général Bonaparte retrouve une France en conflit ouvert avec l’Angleterre. Au point que le Directoire envisage de faire débarquer dans les îles britanniques une armée commandée par le général. Considérant l’entreprise impossible et souhaitant accroître sa gloire, Bonaparte propose à la place de conquérir l’Égypte… Ce pays est une étape commerciale potentielle idéalement placée à mi-chemin entre l’Inde et l’Occident : le percement de l’isthme de Suez, imaginé de longue date par les Français, leur ouvrirait une route stratégique dans le commerce avec l’Orient, en concurrence directe avec les Britanniques. Bonaparte organise son expédition avec des dizaines de milliers d’hommes mais aussi plus de cent cinquante savants, ingénieurs, artistes et hommes de lettres chargés d’étudier le pays, sa cartographie, son patrimoine archéologique, sa faune, sa flore… Et bien sûr de réfléchir à la création de ce fameux canal entre la Mer Rouge et la Méditerranée.

Une source d’inspiration

La flotte quitte Toulon le 19 mai 1798. Le 1er juillet, les troupes françaises accostent en Égypte et s’emparent rapidement d’Alexandrie. Elles descendent ensuite vers le sud pour se confronter aux rebelles mamelouks. S’engage ainsi, le 21 juillet, la bataille dite des Pyramides qui verra la défaite des troupes égyptiennes. Bonaparte s’installe alors au Caire, où il crée l’Institut d’Égypte qui regroupe tous les scientifiques de l’expédition. Leurs découvertes et leurs travaux seront compilés dans un ouvrage de référence en vingt volumes, Description de l’Égypte, paru entre 1802 et 1830. Cette œuvre magistrale et richement illustrée deviendra une source d’inspiration pour les arts décoratifs, la sculpture ou encore l’architecture, donnant naissance à l’égyptologie et l’égyptomanie. Maurice Orange en est l’une des figures. Né à Granville en 1867, il se forme à l’Académie des beaux-arts de Paris auprès du célèbre peintre orientaliste Jean-Léon Gérôme. Passionné à la fois par la peinture historique, les costumes militaires et l’épopée napoléonienne, il réalise en 1895 une huile sur toile qui réunit ses thèmes de prédilection : Bonaparte en Égypte contemplant la momie d’un pharaon. Deux ans plus tôt, l’artiste a bénéficié d’une bourse de voyage pour partir dans ce pays qui suscite en lui enthousiasme et admiration. Il visite tous les grands sites archéologiques et exécute sur place de nombreuses études à l’huile et à l’aquarelle. « Les momies aussi nous ont beaucoup intéressés, écrit-il dans une lettre de voyage. Celle de Ramsès entre autres, dont la figure est conservée comme s’il dormait. »

L’avenir de Bonaparte

Son tableau, exposé désormais dans une salle dédiée du musée d’Histoire locale de Rueil-Malmaison, met en scène un face-à-face entre Bonaparte et ce pharaon dans son sarcophage ouvert, le visage découvert, devant ses officiers mais aussi les savants qui l’accompagnent, ombrelle à la main pour se protéger d’un soleil écrasant. Une scène (hypothétique ?) présentée au Salon des artistes français de 1895, qui inspira des commentaires bien différents aux critiques d’art de l’époque. Ainsi, Le Soleil du dimanche y lit l’avenir de Napoléon : « Un dialogue de pensées semble s’ouvrir entre la majesté de jadis et celle qui se prépare pour le général français. » Tandis que La Correspondance Havas s’interroge : « Le général en chef contemple ce cadavre, qui est peut-être celui d’un grand conquérant comme lui, et il doit se faire de singulières réflexions sur la vanité des grandeurs de ce monde… »