La tragédie du Sélect

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Au rang des drames qui ont frappé notre ville, l’incendie du cinéma Le Sélect et son cortège de victimes ont profondément marqué la mémoire rueilloise. Récit d’une nuit d’horreur, soixante-dix ans après les faits. 

Équipées du dernier smartphone aux multiples fonctionnalités, les jeunes générations ont peine à croire qu’il y a quelques décennies, le cinéma de quartier figurait au cœur de la vie sociale française. Ainsi, en ce 30 août 1947, pas moins de 557 spectateurs s’étaient pressés au Sélect, situé au 42 rue de Marly (actuelle rue Jean-Le-Coz), pour assister à la projection du film Étoile sans lumière de Marcel Blistène, avec Édith Piaf, Serge Reggiani et Yves Montand à l’affiche. Ce joyeux public familial ignorait alors que son divertissement du samedi soir allait se muer en terrifiant cauchemar.

Une salle aux normes de sécurité sommaires

Lieu de convivialité, Le Sélect, ancienne salle de bal transformée en cinéma en 1932, est exploité depuis 1938 par Antoine Mouillade. Doté d’un parterre et de deux balcons, desservis par des accès étroits, il fait l’objet, le 26 octobre 1946, d’une visite de la commission communale de sécurité, à la suite de la publication du décret du 7 février 1941 relatif à la protection contre les incendies des bâtiments et locaux recevant du public. Toutes ses recommandations ne sont pas suivies d’effet. Une négligence qui devait coûter la vie à une centaine de Rueillois…

Un immense désastre

C’est devant une salle comble, toutes générations confondues, que la séance vespérale débute. Des chaises sont même ajoutées dans les travées pour accueillir les derniers arrivés. Vers 21h50, peu après l’entracte, un incendie, dû à un court-circuit, se déclare au plafond. À défaut d’avoir été régulièrement ignifugées, les tentures murales s’embrasent, et le feu se propage à la cabine de l’opérateur, aux balcons, ainsi qu’à l’unique escalier de bois. Les flammèches étendent bientôt le sinistre aux fauteuils et aux vêtements des malheureux spectateurs, littéralement encerclés par les flammes. Tandis que certains se jettent des balcons, des parents affolés lancent leurs enfants à l’assistance du parterre. Cette dernière ne trouve aucun salut dans les extincteurs, qui ne fonctionnent pas, ni dans l’issue de secours bloquée, donnant qui plus est sur une cour verrouillée, rue Messire-Aubin. Dans un mouvement de panique indescriptible et une atmosphère suffocante, les spectateurs pris au piège périssent piétinés, asphyxiés, assommés par l’effondrement des charpentes et carbonisés.

Un cruel bilan

Épaulés par des renforts venus des communes environnantes, les secours s’organisent rapidement. Les ambulanciers évacuent des dizaines de blessés graves à l’hôpital Stell, à Nanterre ou à Saint-Germain-en-Laye. À trois heures du matin, les corps défigurés retrouvés dans les décombres sont transportés à la justice de paix ou à l’école des garçons, morgue de fortune. Plus de la moitié des victimes, dont le total définitif allait s’élever à 89 morts, 64 blessées et quatre orphelins, ont moins de 20 ans. Parmi celles-ci se trouve Jean Le Coz, fils d’un marchand de vin, qui s’est distingué par sa bravoure. Sorti vivant de la fournaise, le jeune homme s’y est précipité à trois reprises pour sauver des blessés. Après avoir tiré deux jeunes filles du brasier, il tente vainement, contre l’avis des infirmiers, de porter assistance à d’autres spectateurs. Peu après, l’on devait identifier son corps calciné, tenant la dépouille d’un enfant dans les bras.

Une ville endeuillée

Plus de 20 000 personnes assistent aux obsèques collectives, qui se déroulent le mardi 2 septembre place de l’Église, où s’alignent les cercueils couverts de gerbes de fleurs. La messe y est célébrée par le chanoine Boltz, en présence de Monseigneur Roland Gosselin, évêque de Versailles. Escortées jusqu’à leur dernière demeure par une foule éplorée, les victimes sont ensuite inhumées dans le cimetière ancien. Le 20 septembre 1947, le conseil municipal décide d’attribuer gratuitement une concession centenaire au terrain occupé par leurs tombes.

Un retentissement national

La catastrophe, qui fait la une des journaux de l’époque, se solde par l’arrestation immédiate et l’incarcération à la prison de Versailles du propriétaire de l’établissement. Au terme de son procès pour homicides et blessures involontaires, qui s’ouvre le 22 mars 1948, il est condamné à une peine d’un an d’emprisonnement, à six mille francs d’amende et au versement d’indemnités aux familles des victimes. Insolvable, il échappe cependant aux condamnations financières. Heureusement, la solidarité citoyenne prend le relais. Ainsi, le conseil municipal extraordinaire du 31 août vote un crédit d’un million de francs pour venir en aide aux personnes sinistrées. Le gouvernement et le conseil général allouent également, chacun, une enveloppe d’un million. Les donateurs privés et publics se mobilisent à leur tour, dont le président Vincent Auriol. Enfin, le colonel Pouyade, son représentant, décore Jean Le Coz de la Légion d’honneur à titre posthume, et la rue de Marly est rebaptisée à son nom. Rueil honore ainsi, aujourd'hui encore, la mémoire de son acte héroïque.