Jules Dufaure ou la République modérée

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À l’occasion de l’apposition d’une plaque commémorative à l’emplacement de la demeure rueilloise de Jules Dufaure, la société historique de Rueil-Malmaison vous invite à redécouvrir cette personnalité politique clé du XIXe siècle, mais aussi ses enfants, bienfaiteurs de notre ville.

Au lendemain de son décès, Le Figaro (28 juin 1881) consacrait l’essentiel de son édition à Jules Dufaure, « le dernier spécimen d’une espèce qui disparaît : le parlementaire exact, bourru, morose, entêté et honnête ». Surnommé « le Sanglier », ce natif de Charente-Inférieure, à qui l’on attribue la paternité du droit administratif français, avait connu pas moins de quatre régimes, accompagnant l’évolution de la France vers la République parlementaire.

« Le culte de la légalité et du constitutionnalisme »

Né à Saujon le 4  décembre 1798 dans une famille bourgeoise, Jules Dufaure devint avocat à Saintes, puis à Bordeaux. Au barreau, il s’édifia une solide réputation d’orateur, en dépit d’une voix nasillarde raillée par ses contemporains. Élu pour la première fois député de Saintes en 1834, ce proche d’Adolphe Thiers devait occuper sept postes ministériels (Travaux publics, Intérieur, Justice) de la Monarchie de Juillet à la IIIe République, interrompant toutefois sa carrière après le coup d’État du 2 décembre. Membre du conseil de l’Ordre des avocats et de l’Académie française (1863), il connut la consécration en qualité de président du Conseil (1876-1879), après en avoir été vice-président à la suite de la Commune. Confronté à une majorité turbulente, il allait quitter l’exécutif en 1879 pour se consacrer à la mission législative du Sénat, dont il avait été nommé membre inamovible en 1876.

Jules Dufaure intime

Mari et père aimant sous des dehors austères, Jules Dufaure acquit, en 1856, une maison bourgeoise sans prétention à Rueil, au 18 rue de Suresnes (actuelle rue de la Libération), donnant sur un modeste jardin arboré. « M. Dufaure adorait cette petite propriété qu’il avait achetée avec les honoraires de la première cause qu’il a plaidée […] C’est une vieille habitation de rentier, dont les murs peints suintent l’humidité », rapporte Jules Brémond dans Le Figaro du 28 juin 1881. C’est là qu’il se retira, accablé par les ans et la maladie, pour vivre ses derniers instants, assisté par les dévoués docteur Launay et abbé Marion. Mort « très chrétiennement » le 27 juin 1881, l’ancien président du Conseil se vit réserver, à l’église Saint-Pierre Saint-Paul, des funérailles dignes de son rang, auxquelles assistèrent députés, sénateurs, académiciens et autres notables, alors que Rueil s’apprêtait à célébrer sa fête patronale (29 juin). Le cercueil de « ce stoïcien [qui] a quitté la vie en vrai patriarche, entouré de ses affections les plus tendres » (Le Gaulois du 28 juin 1881) fut tout d’abord descendu dans le caveau de la reine Hortense, puis transféré le 2 juillet en Charente Inférieure, afin qu’il pût reposer aux côtés de sa chère épouse, dont le deuil l’avait ébranlé. « Il nous lègue l’exemple d’une très longue modération », retire Le Gaulois de son impressionnante endurance politique.

Des mécènes rueillois

L’histoire rueilloise des Dufaure n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. En effet, le fils cadet de Jules, Amédée Dufaure (1851-1951), tour à tour secrétaire du préfet de la Seine, versé dans la diplomatie, chef de cabinet de son père et élu, ainsi que sa sœur, Madame de Monicault, proposèrent, en 1883, de léguer la maison à la Ville dans le but d’y installer un asile de vieillards. « Pour lui assurer une destination charitable, nous consentirons à quelques sacrifices », aurait déclaré l’héritière, alors que l’immeuble était estimé à 50 000  francs. Toutefois, la municipalité ne donna pas suite à cette offre généreuse. Aussi, en 1897, Amédée et son épouse convinrent de financer eux-mêmes cette institution pour vieillards indigents, issus plus particulièrement des arrondissements d’Étampes et de La Brède (Gironde), où ils avaient des attaches. L’asile Saint-Jean-Baptiste était né. En janvier 1915, il accueillit une « ambulance » pour les soldats blessés. En 1933, Madame Dufaure fit don de la maison à Monseigneur Gosselin, évêque de Versailles, qui la céda en 1937 à la congrégation de la Sainte-Famille. En 1969, elle prit le nom de foyer Émilie-de-Rodat, aujourd’hui labellisé Ehpad. Dix ans plus tôt, le conseil municipal décidait de dédier une rue à Amédée Dufaure, à la mémoire de son œuvre philanthropique. Il repose, ainsi que son épouse, disparue en 1937, au cimetière ancien de Rueil.