Histoire d’orgue

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Alors que l’orgue de l’église Saint-Pierre Saint-Paul vient tout juste d’être restauré, la société historique de Rueil-Malmaison vous convie à un voyage dans le temps, aux origines de ce joyau du patrimoine rueillois.

Classé monument historique en 2013, objet des soins attentifs de la société Robert frères pendant dix-huit mois, l’orgue de Rueil nous revient dans toute son authentique splendeur. Indissociable du cachet de l’église Saint-Pierre Saint-Paul, il n’a pourtant pas été le premier instrument à y accompagner les offices.

Grandeur et décadence

De fait, le cardinal de Richelieu, illustre propriétaire du château du Val de Rueil, avait offert à l’église paroissiale – à la construction de laquelle il avait contribué  – un orgue dû à l’estimé facteur Guillaume Lesellier, décédé avant d’avoir achevé son œuvre. Jugé « inutile » à la Révolution, il fit les frais de la campagne de vente de l’an VI (1797) au profit de la République. Selon le jugement peu amène consigné le 11 brumaire par Louis-Michel Jeulain, commissaire de l’administration centrale de Seine-et-Oise, « le son des écus sera plus agréable au gouvernement que celui, lugubre, que poussent ordinairement les tuyaux d’une orgue, surtout lorsqu’elle est mauvaise ». L’instrument allait être adjugé au citoyen Delcamp, chaudronnier à Saint-Germain-en-Laye. En 1837, la fabrique de Saint-Pierre Saint-Paul dote l’église d’un nouvel orgue de dix jeux.

Un cadeau impérial

Très attaché à Rueil où reposaient sa mère, la reine Hortense, et son auguste grand-mère, Joséphine Bonaparte, Napoléon  III entreprit d’embellir la commune. Il apporta une attention particulière à l’église, alors vétuste, chargeant notamment son architecte fétiche, Eugène Lacroix, d’en assurer la complète restauration. À cette occasion, l’orgue fut démonté. Deux ans d’efforts furent nécessaires pour que ce « Saint Denis impérial »(1) pût de nouveau accueillir le culte (26 avril 1857).

En 1858, le maire et la fabrique tentèrent sans succès d’obtenir la réinstallation de l’orgue sur une nouvelle tribune. Mais, une fois de plus, l’empereur allait manifester sa prodigalité envers l’église de Rueil : en 1863, il fit l’acquisition d’un majestueux buffet d’orgue, à la faveur de la remise en état de la basilique de Santa Maria Novella de Florence (1859).
Datant probablement de la fin du XVe siècle, ce somptueux témoin de la Renaissance, ouvrage de bois sculpté et doré, décoré d’écussons, de cornes d’abondance, de guirlandes et de fleurs de tournesol, est attribué au sculpteur Baccio d’Agnolo (2).
Un tel écrin (classé monument historique en 1970) exigeait qu’y prît place un instrument digne de la magnificence du Second Empire, dont la commande fut effectuée auprès de l’un des facteurs d’orgue les plus prisés de l’époque, Aristide Cavaillé-Coll. « Dans un buffet précieux par son ancienneté et par une heureuse ornementation, M. A. Cavaillé a placé un instrument digne de servir de modèle dans l’art que lui-même cultive.

L’orgue de Rueil, grâce à sa construction solide, à la sonorité puissante et variée rappellera longtemps aux fidèles la pieuse munificence de l’Empereur. Sa majesté ne pouvait pas mieux honorer un artiste en l’appelant à laisser un monument de son talent dans une église qui renferme de si précieux souvenirs », indiquent Ambroise Thomas, de l’Institut, Louis James Alfred Lefébure-Wely, organiste de Saint-Sulpice, et Jules Antoine Lissajous, physicien, dans leur rapport à « Son Excellence Monsieur le ministre de la Maison de l’Empereur », le 13 avril 1864 (AN, F21/1451).

150 années de service

L’instrument fut solennellement béni et inauguré le dimanche 10 avril 1864, en présence de l’évêque de Versailles, du maréchal Vaillant, représentant l’empereur, du préfet, le comte de Saint Marsault, et du maire de Rueil, Adrien Cramail. Un journaliste écrivit que Louis James Alfred Lefébure-Wely, « promenant ses doigts habiles sur le clavier de l’instrument, en tira, tour à tour, de fortes et suaves harmonies et charma les oreilles d’une assistance nombreuse et recueillie ». Mises à part quelques interventions de routine de Cavaillé-Coll dans les décennies qui suivirent et l’électrification de la soufflerie en 1954, l’orgue n’a pas subi de modification majeure depuis lors. Préservé des dénaturations qui ont affecté tant de ses homologues et restauré avec professionnalisme, il offrira aux Rueillois, pendant des décennies encore, la pureté de ses sonorités originelles.

(1) Voir Jean-Marc Baffart, « L’orgue de l’église paroissiale de Rueil-Malmaison », Bulletin de la société historique de Rueil-Malmaison, n°37, décembre 2012, note 1, p. 56 (2) Au sommet de la porte intérieure, placée sous la tribune, figure l’inscription suivante : « Ouvrage du sculpteur florentin Baccio d’Agnolo exécuté à la fin du XVe siècle pour l’église Sainte Marie Nouvelle de Florence. Acquis en MDCCCLXIII et donné à l’église de Rueil par Napoléon III. » De son côté, la tribune d’origine de l’orgue (Cantoria) devait rejoindre les collections du musée de South Kensington (Londres), rebaptisé Victoria and Albert Museum au début du XXe siècle.

La restauration de l’orgue (coût total : 205 269 euros) a pu s’effectuer grâce à la participation de plusieurs partenaires : la Drac Île-de-France (74 304 €), la Ville (71  441  €), la souscription publique (dons pour 24  899 €), la Fondation du patrimoine (23 625 €), la Fondation Sainte-Geneviève (7000 €), la paroisse Saint-Pierre Saint-Paul (4000 €).