Correspondances de guerre

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L'une des sources les plus précieuses pour la reconstruction des faits réside dans les lettres des soldats au front. Jamais les Français ne se sont autant écrits que pendant la Première Guerre mondiale. Des centaines de milliers de lettres et cartes postales circulaient quotidiennement. Elles constituaient, pour les millions de soldats et leur famille, le seul lien fragile qui les unissait encore.

Tout le monde écrivait, officiers et simples soldats : aux parents, aux épouses, aux amis, aux anciens collègues... Un volume de correspondance imposant, qui s'est vite avéré vital pour maintenir le moral des troupes.

Les Rueillois n'ont pas fait exception. Jaunis mais soigneusement conservés au musée d'histoire locale, ces témoignages sont très touchants. Nous vous en présentons ici quelques extraits, en vous invitant à contacter la société historique si le sujet vous passionne.

 

19 août 1914, Mouzon (Ardennes)

« L'on dort par petits morceaux d'une demi-heure et l'on s'estime heureux quand le total arrive à faire trois heures par nuit. Quant à la nourriture, quand nous en trouvons, on s'en colle tant qu'on peut, car en voilà peut-être pour 24 ou 30 heures. Tu penses si à ce régime la santé est brillante ! Je passe du rhume de cerveau à la colique avec une désespérante régularité. »

 

13 septembre 1914, Suippes (Marne)

« Je reçois ta lettre ce matin. Je dois t'avouer que j'ai été étonné, car je pensais que ma lettre était passée au panier comme contenant des renseignements. […] À Bertrix (Luxembourg belge à côté de Florenville), les Allemands, en nombre considérable, nous attendaient dans le bois où ils avaient préparé des tranchées avec fil de fer et abondamment garnies de mitrailleuses. Ce fut un vrai guet-apens. Ils nous laissèrent approcher et, à bonne portée, nous envoyèrent une vraie pluie de balles et d'obus. Ce fut terrible. Tous ceux qui étaient en avant, ne se doutant de rien, tombèrent en quelques minutes. »

 

26 septembre 1914, Somme-Suippe

« […] Comme j’étais aujourd'hui de service;à l’état-major, j'ai vu défiler toute la journée des prisonniers allemands […] Quelques-uns savent quelques mots de français, j'en profite pour causer avec eux. En général, ce sont des réservistes jeunes. Ils ne sont pas trop fâchés d’être prisonniers, une fois qu'ils savent qu'on ne leur fera pas de mal. Ils se plaignent du manque de nourriture et ils sont tout étonnés de nous voir manger du pain et avoir du tabac. »

 

24 octobre 1914, une tranchée devant Perthes-lès-Hurlus (Marne)

« Excusez-moi de vous écrire au crayon sur du papier qui n'a rien d'immaculé. L'encre est inconnue ici, et lorsque vous saurez que nous touchons en tout et pour tout un demi-litre d'eau par jour, vous me pardonnerez d'avoir les mains sales. […] Le jour, cette vie de tranchée serait passable, mais la nuit, c'est infiniment triste. L'on tire de tous côtés. Les patrouilles sont plus dangereuses, car en rampant, elles arrivent jusqu’au bord des tranchées. […] Pour les éviter, nous avons jeté devant nos tranchées toutes les vielles gamelles et tous les vieux plats. Quand une patrouille cherche à s'approcher, elle butera sur un de ces plats et nous avertira de sa présence. »

 

17 décembre 1914, tête de sape*

« […] le tir des anciens mortiers est terrible. Jamais je n'aurais cru revoir à la guerre de 1914 des mortiers que je considérais, avec dédain, à la terrasse des Invalides. Il est vrai que les anciens boulets sont remplacés par des bombes à mélinite, cheddite, dynamite, etc. Quand le hasard veut qu'une de ces bombes, qui pèsent 25kg, tombe dans un parallèle, l'effet est terrible. Tout ce qui se trouve dans un rayon de 30 mètres est pulvérisé. » *Une sape est une galerie souterraine réalisée dans une guerre de siège ou une guerre de tranchées pour s'approcher à couvert d'une position ennemie. La tête de sape est une position avancée de cette galerie.

 

26 décembre 1914, Somme-Suippe

« […] L'armée française est en train de devenir le plus bel échantillon de tous les costumes. Rien de plus rigolo que de voir un régiment redescendre de son tour de garde dans les tranchées. Le képi a été remplacé par le passe-montagne ou le bonnet d'aviateur. Les sans-famille se sont confectionné dans une capote allemande un capuchon, d'autres par-dessus la capote ont une espèce de fourreau en toile cirée avec deux trous pour le passage des bras. Tous les tapis de table qu'avaient bien voulu nous laisser les Allemands ont servi, et l'on voit sur le dos d'un bonhomme une descente de lit qui s’ajuste sur le devant avec un morceau de toile à matelas. »

 

Extraits de lettres du Rueillois Martinet à son ami Cagliuso.